Le prix Smith-Wintemberg est décerné pour honorer les membres de la communauté des archéologues canadiens qui ont apporté une contribution exceptionnelle à l’avancement de la discipline de l’archéologie ou à notre connaissance du passé archéologique du Canada. C’est la plus haute récompense décernée par l’ACA et à l’occasion de la conférence nationale qui se tient ici, dans la région Atlantique, j’écris pour proposer à cette distinction le Dr Stephen A. Davis, professeur émérite de l’Université Saint-Mary et président de Davis, MacIntyre and Associates. Ce qui suit est un résumé de la carrière du Dr. Davis et je remercie ses collègues, ses anciens étudiants et ses amis pour les informations qu’ils m’ont données et l’appui qu’ils apportent à cette nomination.
Bien qu’il soit né à Edmonton, en Alberta, Steve Davis est un véritable « maritimien », comme peuvent en attester plus de quarante ans de travaux, de recherches et de vie de famille. En tant qu’archéologue, il s’intéressait avant tout sur la préhistoire de la côte nord-est, sur l’Atlantique. Ayant effectué ses études de premier cycle à l’Université du Nouveau-Brunswick de 1967 à 1971, Steve a développé son intérêt pour la préhistoire de la région et en particulier sur les environnements côtiers et l’utilisation des ressources en travaillant au second cycle à l’Université Memorial et en rédigeant un mémoire de maîtrise portant sur le site de Teachers Cove au Nouveau-Brunswick. Cette maîtrise fut suivie d’un doctorat en études préhistoriques à l’Université d’Oxford et d’une thèse, Man, Molluscs and Mammals : A Study of Land Use and Resources in the Late Holocene of the Maritime Provinces of Canada. À cette formation académique et à ses travaux de terrain intensifs se sont ajoutées 34 années d’enseignement de l’archéologie entre les universités d’Oxford, Memorial, Saint-Francis-Xavier et Saint-Mary, où il est actuellement professeur émérite en anthropologie. Sa carrière à Saint-Mary vient d’être reconnue, ces dernières années, par l’attribution du Prix du président pour l’excellence de la recherche, la médaille Father William A. Stewart pour l’excellence en enseignement et le Prix de la Faculté des arts pour l’excellence en enseignement. Au-delà des Maritimes, Steve a dirigé des travaux de terrain en Espagne et en Norvège, dans les Îles britanniques, les Territoires du Nord-Ouest, l’Ontario et l’Arctique canadien. Il s’est davantage impliqué ces dernières années dans les sites d’archéologie historique.
Avec plus de 80 publications, manuscrits et communications à des conférences, et plus de cent rapports d’évaluation des ressources culturelles, l’évaluation de la situation de l’archéologie dans la région et des futures directions de recherche constitue une activité ordinaire pour Steve. Lorsque l’on passe en revue son cursus universitaire, on s’aperçoit de la récurrence de certains thèmes. On remarque en particulier son travail de plusieurs années sur l’érosion des côtes pour le Conseil des premiers ministres des Maritimes. Dans un effort conjoint de toutes les provinces maritimes pour répondre au problème critique qui affecte les sites côtiers, Steve et ses collègues du Comité des Maritimes pour la coopération archéologique ont exploré et relevé les sites et élaboré des stratégies pour réagir devant la vitesse alarmante à laquelle les côtes s’érodent dans les Maritimes et l’effet dévastateur que cela peut avoir pour les ressources archéologiques. Dresser un inventaire des sites, évaluer les conditions et envisager les impacts futurs, tout cela constituait le fond de cette initiative à long terme qui a rallié les experts en archéologie de toutes les provinces maritimes autour d’un patrimoine commun menacé. Ces travaux initiaux sont d’autant plus pertinents aujourd’hui que les impacts de l’érosion des côtes et de l’élévation du niveau de la mer ont atteint un niveau sans précédent dans les Maritimes.
Il faut également mentionner les travaux de Davis sur les sites de Debert et Belmont. Jusqu’en 1989, un seul site paléo-indien avait été découvert dans les provinces maritimes. C’était le site Debert, qui avait été fouillé par George MacDonald en 1963-1964 et qui avait été depuis longtemps reconnu pour être un site d’habitation de grande importance. En 1989, après le défrichage de terrains destinés à des pépinières, deux autres sites, Belmont I et Belmont II, ainsi que quelques sites d’habitation plus petits, furent découverts à proximité. En tant que premier chercheur, Steve est parvenu à ses propres conclusions sur les sites Debert-Belmont, quant à savoir s’il s’agissait de centres de chasse ou de transformation, au sujet des habitats dispersés et des grandes unités résidentielles et concernant les intrigantes contradictions que l’on relève dans la datation des sites. Tout le monde s’accorde à dire que les sites Debert et Belmont suscitent des questions de recherche complexes. Steve pense qu’une fouille complète des sites de Belmont, dans un cadre interdisciplinaire, pourra probablement fournir des réponses au sujet des premiers habitants du pays des Mi’kmaq.
Enfin, dans le domaine de l’archéologie historique, on ne peut passer sous silence la contribution de Steve à l’archéologie urbaine à Halifax. Avant le milieu des années 1980, l’archéologie urbaine n’existait pas à Halifax. Tout le monde sait qui a mené la charge. C’était par un froid matin de janvier 1984, lorsque Steve a affiché une pétition et que vingt de ses étudiants au premier cycle l’ont suivi dans le centre-ville. Les travaux de construction en cours furent interrompus pour la matinée uniquement. Il pataugea dans la boue jusqu’aux genoux pour sauver tout ce qui pouvait l’être. Ce premier effort entraîna trois années de travaux pour les étudiants, des publications, et jusqu’ici la plus grande collecte de culture matérielle qui reste à être inventoriée (plus de 25 000 artefacts) datant de l’époque de la fondation d’Halifax, en 1749. Le Central Trust Project avait créé un précédent et permis d’entamer le dialogue avec les instances officielles. Aujourd’hui, plus de 40 sites urbains ont été répertoriés, uniquement sur la péninsule.
Ses réalisations professionnelles et universitaires sont nombreuses. Souvenons-nous de Steve l’enseignant, le mentor, celui qui plaidait pour les étudiants. L’héritage de Steve se trouve dans les centaines d’étudiants qu’il a influencés en tant que professeur d’archéologie à l’Université Saint-Mary, durant 34 ans. Si l’on fait le décompte, et j’ai bien regardé les chiffres, cela représente près de 350 étudiants chez qui il a semé les graines de l’archéologie, de jeunes esprits en qui il a ouvert une fenêtre sur le passé proche ou lointain. De nombreux étudiants – trop nombreux pour être mentionnés ici – influencés par sa passion et son engagement ont poursuivi leurs études aux cycles supérieurs en archéologie, et on les trouve dispersés à travers tout le Canada et les États-Unis, travaillant, enseignant, effectuant des recherches et contribuant au développement de la discipline aujourd’hui. De nombreux autres étudiants (dont beaucoup se trouvent à ce banquet ce soir) se rappellent avec émotion que la toute première occasion qu’ils ont eu de fouiller, mieux, de fouiller et d’être payés, était le résultat de la détermination du Dr. Davis. Il a travaillé sans relâche pour permettre aux étudiants d’aller sur le terrain. Il réussissait à trouver de l’argent et des appuis pour faire des fouilles en Nouvelle-Écosse dans les années 1970 et 1980 ! Ce n’était pas un mince exploit !
Comparativement au reste du pays, les programmes en archéologie se sont développés lentement dans les Maritimes. Un document rédigé en 1979 pour le Conseil des premiers ministres des Maritimes faisait état de sérieuses préoccupations pour la région, telles que : le peu d’implication des universités des Maritimes dans l’enseignement de l’archéologie ou dans la mise en place de programmes de recherches en archéologie dans la région ; la grande disparité de niveau des services archéologiques proposés dans les trois provinces maritimes ; le peu d’accès à la connaissance archéologique, qui avait pour résultat que très peu de gens s’impliquaient dans l’archéologie des Maritimes ; le fait que peu de choses fussent connues sur le patrimoine archéologique des Maritimes ; le peu d’appréciation du patrimoine archéologique des Maritimes dans le grand public ; et, combinaison de ce qui précède, l’absence « d’infrastructures » en archéologie dans les Maritimes.
Usant de sa position à la faculté de l’Université Saint-Mary, Steve s’est voué à répondre à ces problèmes. Il faisait partie d’un très petit groupe – on aurait pu les compter sur les doigts d’une seule main – qui œuvrait à mettre l’archéologie au programme, et ils ont permis que nombre d’entre nous puissent se lancer sur ce chemin pour la vie. La contribution de Steve dans l’éveil du public, du milieu universitaire et des cercles gouvernementaux est incommensurable et inestimable. Comment mesurer 34 années d’efforts ciblés pour stimuler le dialogue, instaurer la compréhension et développer l’expertise dans le domaine de l’archéologie dans les Maritimes ? Steve a lancé les discussions, de nombreuses manières. Il a posé les fondations pour nous. Dans ces années de formation, il nous a montré le chemin. Nous avons beaucoup appris et continué à bâtir sur ces fondations.
Pour terminer, Steve a endossé de nombreux rôles au cours de sa carrière d’archéologue : professeur, chercheur, mentor, directeur de fouilles, homme d’affaires, collecteur de fonds, auteur, chauffeur, hôte, cuisinier, laveur de bouteilles en chef… la liste est sans fin. Il a de nombreux talents et nous avons appris beaucoup de sa vie professionnelle. Il a eu une influence unique et essentielle sur l’archéologie de cette région et sa place de grand contributeur à l’archéologie du Canada lui est assurée. Nous sommes honorés de nous rassembler pour célébrer sa carrière et ses accomplissements.
Si Steve révisait ce texte, il serait le premier à ajouter un mot sur ceux qui l’ont aidé en chemin. Rien de tout cela n’a été réalisé dans l’isolement. Au cours des ans, Steve a travaillé et publié en collaboration avec plusieurs spécialistes renommés de la préhistoire et de l’histoire du nord-est et de la côte l’Atlantique, parmi lesquels, entre autres, Chris Turnbull, David Sanger, David Keenlyside, David Christianson, Bjorn Simonson, Jim Tuck, Michael Deal et John Reid.
Les centres d’intérêt et l’engagement professionnel et académique du Dr. Stephen Davis se sont déroulés ici, dans les Maritimes. Il n’est que juste que nous le reconnaissions et le célébrions au moment où nous accueillons cet événement national en Nouvelle-Écosse.
Respectueusement,
Katie Cottreau-Robins
Conservatrice du département d’archéologie, Nova Scotia Museum
Présidente de la Conférence de 2011 de l’ACA à Halifax